Le président Macky SALL vient, par décret n°2024-106 du 03/02/2024, d’abroger le décret 2023-2283 du 29 novembre 2023 portant convocation du corps électoral. Le report de l’élection présidentielle n’est ni de la compétence du chef de l’Etat ni de celle de l’Assemblée nationale. La raison est simple : il ne peut être juge et partie dans le processus électoral. C’est pour éviter qu’un président mal en point dans les sondages sabote le processus électoral en utilisant sa majorité. Oui vous êtes le gardien du fonctionnement régulier des pouvoirs publics (article 42) mais vous n’êtes qu’un gardien politique dont les abus de pouvoir sont sanctionnés par un autre gardien appelé gardien juridictionnel. Il s’agit du juge constitutionnel, seul juge de l’élection du président de la République. Ce décret viole la Constitution en ses articles 27, 29, 31 et 103. Il porte atteinte aux droits électoraux des candidats et des électeurs. Il porte atteinte à la souveraineté du peuple. Non Détachable du processus électoral, il est contestable devant le CC.
1.Sur la Violation de la Constitution
Le président de la République est incompétent pour s’immiscer de quelle que manière dans le processus électoral car, il est une partie dans le processus électoral (soit candidat soit souteneur d’un candidat). Même l’article 52 ne vous donne ce pouvoir de fausser le rendez-vous donné au peuple pour le renouvellement de sa souveraineté sans la validation du Conseil constitutionnel (pas de son président uniquement).
Le président de la République, après la prise du décret de convocation du corps électoral, ne dispose d’aucun pouvoir pour reporter le scrutin. Le constituant sénégalais a prévu les cas de report de l’élection, notamment le décès de l’un des candidats. En dehors de ce cas, l’élection ne peut être reportée qu’en cas de force majeure pour permettre à la majorité des citoyens d’accomplir leur droit fondamental de vote, notamment la survenance de catastrophe électorale ou l’indisponibilité du fichier électoral. Dans tous les cas, il appartient au juge électoral d’apprécier les circonstances. Dans ce cas, l’élection est décalée de quelques jours par le Juge électoral.
Concernant le décès d’un candidat, il ressort de l’article 29 de la Constitution qu’.” en cas de décès d’un candidat, (…) les élections sont reportées à une nouvelle date par le Conseil constitutionnel(…) ».
Il est alors clair que l’acte pris par le Chef de l’Etat est un acte inexistant. La décision de publication de la liste des candidats ne peut être remise en cause par un acte réglementaire encore moins par un acte législatif.
Par ailleurs, en procédant au report du scrutin, le président prolonge son mandat. Or, le Constituant a mis hors de portée de la révision constitutionnelle, le nombre et la durée du mandat présidentiel. Il apparaît nettement que ni le Président, ni le Parlement ne peuvent reporter la date du scrutin et, par ricochet, proroger le mandat de l’actuel président de la République. Même le ne peut le faire par voie référendaire. C’est ce qui ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel à travers sa décision N° 1/C/2016 DU 12 FÉVRIER 2016, (…) ni la sécurité juridique, ni la stabilité des institutions ne seraient garanties si, à l’occasion de changements de majorité, à la faveur du jeu politique ou au gré des circonstances notamment, la durée des mandats politiques en cours, régulièrement fixée au moment où ceux-ci ont été conférés pouvait, quel que soit au demeurant l’objectif recherché, être réduite ou prolongée ; » (considérant 32). Aucune procédure de révision de la Constitution ne pourra légitimer le report et la prorogation du mandat du président de la République. À partir du 2 avril donc, l’actuel président ne sera plus légitime à diriger le Sénégal. Il appartient au Conseil constitutionnel saisi d’un recours de dire le droit.
2.Sur la compétence du Conseil constitutionnel
Du point de vue fonctionnel, ce décret est un acte réglementaire non détachable du scrutin. Ce qui justifie la compétence du juge électoral. Tel est l’état du droit électoral. Ainsi, la Cour constitutionnelle du Bénin a, dans sa décision EL-96-015 du 13 mars 1996, annulé le décret de convocation des électeurs pour le second tour de l’élection présidentielle de 1996 car ne respectant pas les conditions de délai fixées à l’article 45 de la Constitution.
Cette compétence de la Cour constitutionnelle béninoise n’est pas un cas isolé en Afrique noire francophone. En effet, dans son arrêt n° CC-EL 035 du 03 avril 1997, la Cour constitutionnelle du Mali s’est reconnue compétente pour se prononcer sur la régularité d’un décret de convocation du corps électoral. Par une interprétation cohérente de l’article 31 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle lui donnant compétence pour statuer sur tout contentieux relatif à l’élection du président de la République et des députés à l’Assemblée nationale, la Cour a estimé que « la régularité de l’élection englobe nécessairement toute une série d’actes et d’opérations annexes à l’élection proprement dite en l’occurrence la convocation du collège électoral ».
En France, le décret de convocation des électeurs a été pendant longtemps bénéficié du humilité juridictionnelle par le refus du juge adminstratif d’en connaitre. Dans la décision DELMAS n°81-1 ELEC du 11 juin 1981, le Conseil constitutionnel, juge électoral, a finalement accepté d’examiner un recours dirigé contre la légalité d’un décret convoquant du collège électoral. Le juge constitutionnel déclare que « considérant que la requête présentée par M. Delmas tend à l’annulation…du décret portant convocation des collèges électoraux pour l’élection des députés…qu’à l’appui de ses conclusions l’auteur de la requête se reférant à une décision du 3 juin 1981 par laquelle le CE statuant au contentieux s’est déclaré incompétent au motif qu’il n’appartient qu’au Conseil constitutionnel juge de l’élection d’apprécier la légalité des actes qui sont le préliminaire des opérations électorales”. Cette décision du juge électoral français se justifie par l’urgence de statuer sur la requête avant l’élection. En fait, à titre exceptionnel, le Conseil constitutionnel statue sur un tel acte lorsque son abstention risquerait de vicier le déroulement des opérations électorales et porter ainsi atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics (Voir les décisions Meyet du 17 décembre 1993, et Richard 20 mars 1997).
Respectez le calendrier électoral, c’est sauver des vies et l’économie du pays.
En attendant, excellente campagne électorale !!!
Dr. Mamadou Salif SANÉ
Enseignant-Chercheur en droit public / UGB
Expert électoral.
Ndiambourinfo