Par le Professeur Harouna Amadou LY
Quand la parole est invocation,
le silence, une méditation, le regard une leçon.
Mawlânâ Cheikh Ould Khaïry a vu le jour à Zarâriya, le 22 shâ’bân 1373 correspondant au lundi 26 avril 1954, à l’occasion du troisième voyage que Mawlânâ El Hâdj Ibrâhîma NIASS a effectué en Mauritanie.
Le premier a eu lieu entre 1948 et 1949, et les plus officiels: en 1952 (année de la composition de son poème Rihlatou Gannâriya) et en 1967.
Au cours de ses déplacements, Baye Niass rendit visite à ses disciples disséminés dans les villes, bourgades et hameaux de la Mauritanie.
Sa dernière visite en terre mauritanienne, la plus brève et la moins connue, s’est déroulée en 1970 à Nouadhibou, où il eut une audience avec sa Majesté Hassan II (1929-1999), roi du Maroc, alors en conciliabule avec les présidents Mohamed ben Brahim Boukharouba alias Houari Boumediene (1932-1978) d’Algérie, Habib Bourguiba (1903-2000) de Tunisie et Me Moctar Ould Daddah (1924-2003) de la République islamique de Mauritanie. Ces dirigeants du Maghreb tenaient à harmoniser leurs différentes positions sur le Sahara occidental alors sous domination espagnole.
Ainsi, le lundi 26 avril 1954, au moment où démarrait la Conférence de Genève sur la Corée et l’Indochine, Cheikh Ould Khaïry vit le jour.
Le vœu de Saydâ Fâtoumétou Zahrâ Mint Add (dite Dâiya) d’être délivrée en présence de Cheikh Bâye fut exaucé après une gestation hors norme. Seydi Mouhammad Mishriy Ould Hâjj , l’un des premiers disciples mauritaniens de Bâye, un soufi achevé, en tout cas l’un des plus ferrés en science ésotérique islamique ou mârifa, prit le nouveau-né qu’il remit à Bâye.
Ce dernier enduisit la langue et les gencives frêles du nourrisson du produit d’une datte qu’il venait de mâcher et suggéra qu’il fût baptisé Cheikh Ibrâhîm. Sans nul doute, l’avant-dernier garçon de Dâiya ne sera pas un homme ordinaire.
Son père, Sîdy Mouhamed Ould Khaïry dit Dî (1900-1991), était un as des sciences mystiques ; les miracles qu’il faisait restent encore gravés dans la mémoire de tous ceux qui l’ont connu. Malgré toute sa stature spirituelle, Sîdy Ould Khaïry décida de s’affilier à la Faydâ et devint un disciple totalement engagé à Mawlâna Cheikh Ibrahima et, ce, à l’image de notre sainte mère, son épouse, Saydâ Fatoumétou Zahrâ Mint Add , sœur d’Abdallâh Ould Abdallâh et de Seydî Ahmed Ould Add alias Oustâz, l’éminent professeur, ci-devant recteur de la mosquée-zawiya de Matâ-Moulâna et qui, jusqu’à son rappel à Dieu, le 04 février 2018, était imam de celle de Boubacar. Ahmed Mahmoûd Ould Eybe e Aïchétou Mint Mouhamdi Ould Beddi, eux aussi, étaient de fervents disciples de Mawlaana Cheikh Ibrahim.
Le patronyme « Khaïry » signifie Bien en arabe, dans un sens à la fois spirituel, moral et matériel. C’est un terme qui évoque le Bienfait, la Bonté et le Bonheur.
L’illustre Famille appartient à la tribu des Idaw ‘Ali issue de Seydi Hassan Ibn Fâtoumatou Bint Rassoûloulâh, un des rameaux d’Ahl al-Bayt très illustre en Mauritanie, notamment dans la région de Boubacar: du nom de Boubacar ben Âli, l’ancien émir du Trarza.
C’est grâce aux Idaw ‘Âli et, plus précisément à leur branche méridionale, que, par le biais de Seydî Mohammad Hâfîz Singhetti, la confrérie tidjâne s’est amplement répandue en Afrique de l’Ouest.
Ayant bénéficié de la sympathie de son entourage immédiat, notamment de ses frères et sœurs: Seydî Mouhamadou Yahyâ, Seydî Mouhamdi et Seydî Mouhammadou Lamine, Cheikh Ould Khaïry passait le plus clair de son temps à lire le Coran et à méditer.
Il s’amusait rarement avec ses camarades d’âge et, par-dessus tout, il était très attaché à Cheikh Ibrahim Niass, le maître que, par la volonté d’Allâh, il s’est choisi dès 1968, année de son affiliation à la Tidjâniyya.
Parallèlement à ses études islamiques (Coran, hadith et science mahadique), Cheikh Ould Khaïry a fréquenté l’école primaire franco-arabe et le collège de Rosso, puis le lycée national de Nouakchott où il obtint le baccalauréat. Par la suite, il réussit au concours d’entrée à l’Ecole normale de la même ville d’où il sortit avec le grade d’instituteur. Pendant longtemps il aura exercé les fonctions de conseiller pédagogique à l’Académie du Trarza sise à Rosso.
En 1975, à travers la profondeur de ses discours et la sainte attitude dont il faisait preuve, sa famille comprit que quelque chose de très important était en passe de se produire chez lui.
En cette année de grâce, à l’occasion de la dernière visite de courtoisie (ziyâra) qu’il décida de rendre à Mawlânâ Cheikh Ibrâhîma NIASS, Seydî Mishriy demanda à Cheikh Ould Khaïry, alors en résidence temporaire à Nouakchott et seulement âgé de vingt et un ans, de l’accompagner.
C’est ainsi qu’ils firent le voyage de Rosso à Kaolack où, le samedi 28 juin 1975, ils se joignirent à la forte procession qui suivit Cheikh Ibrâhîm de Médîna-Bâye à Dakar. Le père de la Faydâ se rendait à Londres pour un suivi médical. Il y perdit la vie le samedi 26 juillet.
Auparavant, le 29 juin, peu avant le décollage de l’avion de l’aéroport de Dakar-Yoff, Mishriy demanda à Bâye Niass de bien vouloir lui donner l’assurance qu’ils se reverraient ici-bas. Cheikh al-Islam lui conseilla de réciter la Fâtihâ. Mishriy y obtempéra par trois fois.
C’est par le verset 106 de la sourate 02 : « Si nous abrogeons un quelconque verset ou que nous le faisons oublier, nous en apportons un meilleur, ou un équivalent… Ne sais-tu pas que vraiment Dieu est capable de tout ? » que de St-Thomas Hospital de Londres, où il était interné, Bâye laissa entendre à son petit-fils, Cheikh Hassan CISSÉ, que sa succession spirituelle, avant même qu’elle ne fût à l’ordre du jour, était dans le domaine du possible.
30 juin 1975. Sur le chemin de retour du Sénégal vers la Mauritanie, à hauteur du village de Njawdoune, entre Saint-Louis et Ross-Béthio, Mishriy, qui n’a jamais caressé l’idée de survivre un seul instant à son valeureux maître , succomba à un accident suite à des tonneaux que fit sa voiture. Seul, il en fut projeté après que l’une des portières fut brutalement ouverte.
Son vœu de ne jamais avoir le malheur d’être informé de la disparition d’El-Hadj Ibrahima Niass était ainsi exaucé par le Tout-Puissant.
Cheikh Ould Khaïry était la dernière personne à s’être entretenue avec l’un des plus illustres, des plus généreux, des plus férus en mâ’rifa de tous les disciples de Bâye de son époque. Dans son turban, le jeune miraculé enveloppa la tête du défunt.
La mort subite de Seydî Mouhammad Mishriy attrista toute la jama’a de Mawlânâ Cheikh Ibrâhîm, plus particulièrement celle de la Mauritanie dont Matâ-Moulâna (le don de Dieu), l’étincelante place soufie.
Cette cité bienheureuse que le disparu a fondée en septembre 1958 est aujourd’hui sous la sage guidance de Cheikh Hâjj Mishriy, fils aîné du défunt, brillant intellectuel et, de surcroît, fidèle continuateur de l’œuvre d’édification de sa très cosmopolite ville-lumière peuplée de plus de 3 000 âmes.
Cheikh Hâjj Mishriy est aussi un camarade de promotion de Cheikh Ould Khaïry. Dans l’un des dortoirs de l’internat du lycée national de Nouakchott qu’ils ont fréquenté à la fin des « années soixante », les deux frères et amis partageaient le même cagibi qui leur tenait également lieu de coin de dévotion.
Pour en revenir à Seydî Mouhammad Mishriy Ould Hâjj , il convient de rappeler que toute sa vie durant, il s’était employé à assimiler, enseigner et mettre en pratique la pensée prodigieuse de Mawlaana Cheikh Ibrâhîm à qui il vouait sa sainte vie et tous ses biens. D’ailleurs, il fut le premier mouqaddam à avoir fait don à Bâye de bovidés à l’occasion d’un Mawlid ou commémoration de la naissance du Prophète (PSL).
La disparition concomitante de Cheikh Bâye et de Cheikh Mishriy plongea la oummah en général, et les grands foyers soufis en particulier, dans une tristesse indescriptible.
Dans cette sous-région africaine, jamais des cœurs ne furent autant brisés par quelque événement que ce fût.
La nature ayant horreur du vide, les disciples de Mauritanie souhaitèrent trouver sans délai un homme capable d’étancher leur grande soif ma’arifale ; très tôt, ceux qui étaient « capables de lier et de délier » furent émerveillés par la vaste culture ésotérique de Cheikh Ould Khaïry. Le fils de Dî et de Dâiya répondait aisément à toutes les questions ésotériques que son entourage composé d’éminents â’rifoûni billâh ne cessait de lui poser pour tester l’exubérance de son savoir.
Peine perdue, Cheikh en savait beaucoup plus qu’on ne pouvait l’imaginer et, mieux, de la manière la plus raffinée !
Oustâz Ahmed Ould Add, Seydî Mouhamed Moctâr Ould Hindy, Seydî Abdallah Ould Rabbânî, Seydî Ahmédou Vâl Oud el-Béchîr et tant d’autres sages conclurent que, malgré son jeune âge, Cheikh Ould Khaïry était le seul Pôle capable d’occuper parfaitement tout l’espace spirituel laissé vacant par Michriy.
C’est ainsi que, en un temps record, des centaines de musulmans de tous âges et de toutes races lui firent allégeance et, ce, conformément à la sourate 05, verset 35 : « Hô les croyants ! Craignez Dieu et cherchez le moyen d’accéder à Lui et luttez dans Son sentier. Peut-être serez-vous gagnants. »
En 1977, soixante-dix-sept aspirants obtinrent la fat’ hou rabbânî (ouverture spirituelle). C’est Cheikh Ould Khaïry,en personne, qui animait le récital ou zikroulâh, comme le recommande Allâh : « Et quand vous aurez achevé vos rites, alors invoquez Allâh comme vous invoquez vos pères, et plus ardemment encore… » Sourate 2, verset 200… « Et très certainement, Nous savons que la poitrine se serre, en vérité, pour ce qu’ils disent… Eh bien, chante Pureté de ton Seigneur, par la louange, et sois de ceux qui se prosternent… et adore ton Seigneur jusqu’à ce que vienne à toi la certitude ! » S. 15, versets 97 à 99.
C’est également en 1977 que Cheikh Ould Khaïry effectua son premier pèlerinage aux lieux saints de l’Islam…
Le dimanche 30 avril 1978, une communauté assez importante quitta définitivement la bourgade de Mâta-Moulâna. Ces éminentes personnalités parvinrent au village de Boubacar, leur localité actuelle, dont le puits foré en 1927 et en 1952 était tari parce que hors d’usage pendant une génération.
Sidy Mouhamed Ould Khaïry et son vénéré fils Cheikh Ould Khaïry, s’y rendirent dès leur arrivée et y formèrent des vœux que Dieu exauça sur-le-champ.
Curieusement, au grand bonheur des émigrés ou mouhâjiroûns, une eau propre et limpide sortit des antres de la terre et remplit la vieille excavation qu’on donnait perdue pour jamais. Hommes et bêtes pouvaient se désaltérer sans difficulté.
Par la suite, d’autres familles rejoignirent les premiers immigrés. Ces personnes représentaient une frange considérable de la population de Mâta-Moulâna d’alors, à savoir : hel Khaïry, hel Add, hel Hindy, hel Rabbâny, hel Maham, hel Moustaba, hel Sâleck, hel Nah, hel Ghâh, hel Khâl, hel Ibrâhîm, hel Véten, hel Zamal, hel Mih, hel Léchek, hel Horma, hel Eybe, hel Ahmad, hel Lemrôt, hel Braham, hel Omar,hel Abb’a, hel Moullâye el Bachîr, hel Amîn Vâl, hel Ahmed…
Mais aussi, d’éminentes personnalités telles Chérif Ahmed Dâl Ould Yoûssouf, Seydî Sîdy Bâba, Seydî Ahmed Ould Tolba, Cheikh Sîdy Ahmed, les hel Atmâne, Mouhamdîne, Ghayid, Samba, Anayel, etc.
En 1982, par l’entremise d’Ahmédou Vâl Ould el-Bachîr, Thierno Harouna SOW, de Haïré-Lâw, fut le premier négro-africain à avoir eu le privilège d’embrasser la Faydâ sous l’ère et la bannière de Mawlânâ Cheikh Ould Khaïry.
Toutefois, en 1983, guidé par Cheikh Ould Fôfa de Bareïna, Thiêrno Souleymâne Ély Banâ SALL de Doûmga-Lâw, qui a été initié par Thierno Harouna SOW, a précédé tous ses condisciples à Boubacar-la-pieuse. Son épouse Fâtimata BARO peut, elle aussi, être considérée comme la devancière de ses consœurs dans cette cité bénie où, deux ans durant, elle a séjourné dans la famille de Mawlâna Cheikh.
D’autres aspirants dont Thiêrno Ibrâhîma Mahmoûd DIALLO (notre talentueux formateur), Thiêrno Âly THIÂM de Nyâbina, Thiêrno Ahmadou Demba DIALLO, Thiêrno Abou Yoûssouph ÂW, Thiêrno Abdoulâye ÂTHIE, Thiêrno Mountaghâ SOW, Thiêrno Ahmadou Demba Asset BÂ, Thiêrno Ismaïla DIÂ, Thiêrno Âli KÂ,Thiêrno Siddâti SOW, Thiêrno Abbâs SOW et son frère Thiêrno Hâdi SOW, Thiêrno Alphâ SOW (Kanel), Thiêrno Ousmâne LY et son grand frère Thiêrno Dâhâ LY, Thiêrno Abou SOW, Thiêrno Ousmâne KÂ, Thiêrno Oumar SOW, Thierno Alpha SOW (Rosso), Thiêrno Nourou SALL, Thiêrno Abdoulâye Badara SOW, Thiêrno Housseynou Bâba-Ndiâye KÂ, Thiêrno Moustaphâ BÂ, Thierno Amadou NDIAYE alias Amath de Podor, Oustaz Mouhammed NDIEGUENE, Sangue Babacar NDIAYE, Thiêrno Ahmadou KÂ
(Cité SHS), Serigne Môr Fassa NDIÂYE, Thierno Zaccariya SOW, Thierno Yahya Djigo, Oustaz
Mouhammed GAYE, Chérif Boubacar Haïdara et son grand frère Chérif Abdel Khadr, Oustaz SEYE, Cheikh El-Hadj NDIÂYE … par vagues successives, arrivèrent à Boubacar pour, derrière le très vaillant Thiêrno Harouna SOW (1951-2001) constituer le prestigieux collège des initiateurs-éducateurs à l’assaut de l’ignorance, de l’intolérance et de la confusion.
La diffusion du flux de miséricorde des mains du Cheikh gagna toutes les régions du monde.
D’ailleurs, les valeureux disciples rendent régulièrement des visites de courtoisie à Mawlaanaa Cheikh Ould Khaïry, dans son village de Boubacar.
La plus importante de ces rencontres est celle annuelle du 20 avril pour commémorer l’anniversaire de la naissance du prophète Mouhammed (PSL), selon le calendrier grégorien.
Ce sont ces hommes d’élite qui, élevés au grade de mouqaddam, transmirent ou transmettent encore le Savoir sublime à travers le monde.
Sans jamais désemparer, et, malgré les nombreux revers qu’ils ont essuyés à Nouadhibou, Zouérate, Médîna-Bâye, et, plus particulièrement, à Haïré-Lâw, eux et leurs proches se sont plus que jamais engagés auprès de leur très prestigieux guide pour contribuer au triomphe de la Tidjâniyya par le biais de la formation-élevation spirituelle des milliers de disciples que compte la Jama’a de Mawlânâ Cheikh Ould Khaïry, fidèle continuateur de la propagation de la sainte mission de Mawlânâ Cheikh Ibrâhîma NIASS, le père fondateur de la Faydâ-Tidjâni.
Longue vie, santé de fer, bonheur et prospérité â Mawlâna Cheikh Ould Khaïry et à toute sa sainte famille !
Harouna Amadou LY
Acteur et analyste de l’histoire de la confrérie tijanya
Ndiambourinfo
