Par Moustapha Séne, Professeur au CESTI de Dakar
Le sommet de Paris sur les économies africaines tenu à l’initiative du Président de la Sénégal et son homologue français M. Emmanuel Macron a remis au goût du jour la question épineuse de l’équation intenable et de l’étau de la dette africaine. Mais aussi de toutes ces questions connexes et, à elle, intrinsèquement liée dont les communautés africaines et notamment certaines grandes Ong et des franges importantes de la jeunesse du continent ont fait leur cheval au cours de ces dernières décennies comme celles des modes de réparations face à la paupérisation née avec l’esclavage et prolongée par la colonisation européenne et plus tard imposée et prolongée par les programmes d’ajustement structurel, les décennies perdues pour le développement. Avec en toile la question du financement véritable des communautés et des collectivités locales et la création du Fonds pour les générations futures.
En proclamant du haut de cette auguste tribune devant ses pairs européens et africains que« l’Afrique a surtout besoin d’une réforme de la gouvernance économique et financière mondiale, avec des mécanismes innovants, nous permettant d’accéder aux marchés de capitaux à des coûts soutenables et selon des maturités adaptées aux actifs à financer », avant de légitimer son appel comme « nécessité vitale pour nos économies » comme une condition sine qua non sans laquelle « tous les efforts d’émergence resteront vains », le Chef de l’Etat du Sénégal a voulu être en phase avec ces jeunes générations qui continuent de porter une revendication forte d’un débat à articuler sur la nécessité d’un bilan à faire sur la trajectoire des différents pays au cours des soixante de leur indépendance. Ce débat qui s’accompagne d’une conscience renouvelée à une Afrique fédérale d’une vision nouvelle de l’intégration de ces Etats comme trame à l’émergence véritable, appelle à des ruptures importantes du point de vue des réalités économiques et politiques et des représentations que l’on avait jusque-là du développement des pays.
La question de la dette des pays africains ne peut être envisagée, aujourd’hui, sans tenir compte de la question de la corruption de ces élites politiques et celle de l’autonomisation des populations. Ces deux problèmes faisant partie d’un faisceau de faits qui se fait jour et qui corrobore une forte volonté des jeunesses africaines de se forger un nouveau référentiel et un autre récit de l’histoire du continent. Avec pour ambition affirmée de prendre leur destin en mains en se construisant une idée autrement plus juste de leurs capacités intrinsèques à assumer leur rôle historique.
La corruption de ces élites politiques aidant, les prises de décisions sur le terrain des politiques publiques, se réalisent, dans de nombreux pays africains, dans un contexte marqué par une très forte acuité de la compétition autour de l’accès à la terre et aux ressources naturelles. Ce qui fait que la problématique du foncier et du partage équitable de la gestion des ressources naturelles est au cœur d’un débat sur la fréquence des conflits à l’échelle du continent africain où les communautés défavorisées à la base sont précipitées, contre leur gré, dans des conflits sans nom, liés au fait que c’est souvent leurs propres terres spoliées par les puissances de l’argent avec la complicité de l’autorité.
Parler d’autonomisation des populations c’est donner aux communautés et collectivités locales, les moyens de s’approprier véritablement les approches stratégiques leur permettant de progresser dans la recherche d’autres alternatives d’investissement citoyen fondé sur une autre lecture, par elles-mêmes, des relations entre Etat et communautés à la base. Cela constitue une dimension connexe de cette nouvelle démarche de communication. Lesquelles relations ont été caractérisées, jusque-là, par un certain déphasage entre les attentes propres de ces communautés à la base et le niveau inopérant des choix politiques des Etats qui constitue la principale source des entraves réelles sur le chemin du développement véritables des communautés. Mais aussi de contraintes repérables à différents niveaux et dont le plus manifeste reste celle-ci : l’impossibilité pour les élites dirigeantes dans nos différents pays, de baliser le terrain des interventions aux échelles locales sur la base de principes partagés en termes de ciblage des bénéficiaires, de choix de systèmes de financement des activités économiques et de mise en place de mécanismes de pérennisation des dynamiques impulsées.
Avec l’avènement , au Sénégal, de l’Acte III de la Décentralisation conçue comme une réforme visant à ” organiser le Sénégal en territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable, à l’horizon 202 », ce sont de nouveaux enjeux qui se font jour. On ne peut plus désormais envisager, à ce stade d’évolution historique et politique de notre pays, les questions centrales de son développement sans tenir compte des nouveaux paradigmes qui définissent le territoire comme un espace d’organisation des ressources naturelles, des moyens pour les mettre en valeur en partant d’une analyse partagée de son potentiel et des perspectives de leur utilisation durable par rapport au futur des générations.
Ces questions centrales de développement relèvent des droits légitimes des populations à une gestion transparente fondée sur l’équité, la lutte contre la pauvreté, ou celles liées à la vulnérabilité des communautés face aux aléas des changements climatiques. Un des enseignements tirés des témoignages croisés lors du forum sur l’approche territoriale du développement durable c’est que collectivités locales sont de plus en nombreuses à s’interroger sur les facteurs clés susceptibles de promouvoir un développement durable à l’échelle de leurs territoires. Et qu’à leurs yeux, « les enjeux liés à un tel processus revêtent une acuité particulière dans un contexte marqué par des déséquilibres entre les territoires, une tendance à la paupérisation de certaines zones et un accroissement des inégalités sociales. »
Comme cela a été dit et démontré lors de ces assises où la Société civile rurale, par le biais de ses mandats a pris une part active, les problèmes d’environnement et de gestion des ressources naturelles (Grn) se posent à plusieurs niveaux. « Le premier concerne les problèmes relatifs à chaque terroir considéré comme une entité spécifique bien localisée et dont la gestion s’articule autour d’interventions ciblées prenant en compte les contraintes propres au milieu. Le deuxième niveau renvoie aux problèmes environnementaux qui ne concernent pas un terroir pris isolément, mais l’ensemble du territoire national, voire toute une région ou même la totalité de la planète».
Dans ce cas de figure, indiquent les experts qui ont partagé sur ces questions, « les dynamiques, même lorsqu’elles revêtent un caractère local, ne peuvent pas être gérées uniquement à cette échelle, tout simplement parce qu’elles participent d’un mouvement d’ensemble et parce que leur solution ne peut venir que d’efforts concertés et de transformations touchant les relations internationales ou les normes technologiques ». Il convient, pour confirmer cet argument, de souligner la pertinence de ces choix méthodologiques qui permettent de prendre en charge concomitamment plusieurs grands défis (atténuation des effets induits par la variabilité et les changements climatiques, lutte contre la pauvreté, promotion de l’équité sociale) qui sont au cœur des politiques de développement.
Les technologies de l’information qui permettent l’accès structuré à l’information territorialisée du fait des possibilités qu’elles dans le domaine du management des connaissances et du travail collaboratif devraient être utilisées à bon escient dans le sens bien compris de ce que l’on appelle « le système d’intellectuel territorial ». Un concept innovant et opératoire que le Pr Philippe Vidal et sa collègue Françoise Desbordes expérimentent, depuis quelques années dans le cadre de masters professionnels sur « Territoire, habitat et politiques d’aménagement » du Dess-Ategu de l’Ecole nationale d’économie appliquée (Enea) de Dakar, au Sénégal, dans l’esprit des leçons de la conférence de la Planète de Rio dont les conclusions ont mis en exergue l’interdépendance étroite entre l’environnement et le développement économique.
Ces chercheurs n’ont eu de cesse d’attirer l’attention sur le fait que les sociétés, eu égard à leurs capacités productives et technologiques, détiennent un pouvoir d’intervention leur permettant d’améliorer les conditions d’existence des populations. Mais aussi de modifier négativement leur environnement proche, voire de porter atteinte aux équilibres fondamentaux du milieu naturel, base de la vie sur terre. C’est d’une véritable révolution conceptuelle qu’il s’agit avec les ruptures induites par cette fracture à un triple plans : celui de notre façon de concevoir désormais les problèmes de développement de l’Afrique ; celui du renouvellement des paradigmes à partir desquels était perçu notre futur d’africains et celui, enfin des solutions envisagées jusque-là pour faire face à ces problèmes.