Le panafricanisme peine t-il à formuler le bon discours?

Le panafricanisme peine t-il à formuler le bon discours?

Après Abdourahmane Diouf, voici venir Sa Majesté Kemi Seba, drapé dans les habits d’un oracle panafricain, marchant sur les cendres mêlées de ses anciennes convictions, la voix grave, le regard habité, récitant à la fois ses blessures et ses illuminations. Comme souvent chez les prophètes tardifs, le ton se veut définitif, la mémoire sélective, et la quête personnelle érigée en vérité collective.

Cette posture messianique se déploie dans un récit soigneusement chorégraphié, prononcé depuis Haïti, terre invoquée comme on brandit un talisman révolutionnaire. Il retrace un long parcours idéologique présenté comme dialectique : thèse (la Nation of Islam), antithèse (l’afrocentrisme radical), synthèse (la tradition primordiale, le soufisme, et les cosmogonies africaines). Une dialectique séduisante en apparence, mais qui s’effondre sous le poids des contradictions non assumées. Il ne s’agit pas d’un cheminement spirituel construit, mais d’un bricolage identitaire où le ressentiment tient lieu de vision et où le syncrétisme s’impose comme solution par défaut.

Dans ce parcours initiatique en dents de scie, l’incarcération devient une matrice de révélation. Après avoir été nourri par l’exclusivisme racial de la Nation of Islam, puis radicalisé dans l’afrocentrisme le plus agressif, il découvre les écrits de René Guénon — cette « étincelle » qui serait, selon lui, la synthèse des contradictions. Mais au lieu d’une réelle élévation, on assiste à une appropriation confuse, où se mêlent tradition primordiale, cosmogonie africaine et vaudou réhabilité.

Au cœur de cette nouvelle construction, une métaphore maîtresse : l’arbre spirituel. La racine serait la tradition primordiale, le tronc les cosmogonies africaines, les branches les religions révélées. Une image poétique, assurément, mais fondamentalement trompeuse. Car elle repose sur une confusion entre principe et origine, entre sacré et ancestral.

En effet, ce qu’il nomme « racine », c’est l’Afrique. Ce qu’il nomme « branche », ce sont des religions qu’il juge étrangères. Or, dans la métaphysique véritable, la racine n’est pas géographique, elle est divine. L’origine n’est pas culturelle, elle est principielle. Et le message de l’islam, loin d’être une rupture coloniale, est l’achèvement d’une révélation continue, transmise au fil des peuples et des siècles, depuis l’aube adamique jusqu’au sceau muhammadien.

Mais Kemi Seba détourne ce schéma pour légitimer une « décolonisation spirituelle » qui sert un autre objectif : relativiser la vérité des religions révélées et promouvoir une fusion confuse de cultes ancestraux, de mythologie animiste et de spiritualité guénonienne. Une telle approche finit par renverser l’ordre : ce n’est plus Dieu qui révèle, mais l’homme qui sélectionne. L’essentialisme spirituel devient alors un prétexte pour justifier un repli identitaire à prétention mystique.

C’est dans cette logique qu’il accuse l’islam d’avoir été imposé par les Arabes, comme si les maîtres soufis noirs n’avaient été que des courroies de transmission dociles. Il oublie que ces maîtres n’ont jamais conçu leur foi comme une dépendance, mais comme une lumière issue du cœur du Prophète, transmise avec autorité, science et dignité à des peuples libres.

La même déformation s’applique à Ibn ʿArabī, dont il cite les vers célèbres sur le cœur devenu temple, mosquée, synagogue. Mais là encore, le sens profond est égaré. Ibn ʿArabī ne parle pas de relativisme, mais d’universalité centrée sur l’unicité divine, résumée dans l’islam ultime. Son cœur n’est pas un carrefour flou, mais une Kaaba intérieure ordonnée autour du Tawḥīd.

Quant à Guénon, il est mobilisé à contresens, réduit à un support idéologique. On le cite pour justifier une vision panafricaine, alors qu’il défendait une hiérarchie des formes traditionnelles, et non leur juxtaposition. Il ne reconnaissait pas la validité égale de toutes les voies, mais leur soumission au cycle de l’origine et de la fin. La tradition primordiale n’est pas un passeport spirituel ethnique, mais un appel à la verticalité divine.

Ce glissement s’accompagne d’un autre renversement : une critique directe, voire méprisante, des religions dites « abrahamiques ». Kemi Seba affirme ne pousser personne à l’apostasie, mais insiste pour dire que ces religions sont des branches mortes si elles ne reconnaissent pas leur racine africaine. Une stratégie rhétorique ambiguë, qui relativise la foi révélée tout en glorifiant des cultes qu’il qualifie d’endogènes, comme si le divin avait un passeport génétique.

Mais en réalité, cette confusion entre quête personnelle et destin collectif trahit un malentendu plus profond. L’homme noir n’a pas besoin de se défaire de l’islam ou du christianisme pour redevenir lui-même. Il n’a pas besoin d’une synthèse ésotérique pour retrouver sa verticalité. Car le Tawḥīd est sans couleur, et la lumière n’a pas besoin d’être pigmentée pour briller.

Les soufis noirs qu’il invoque n’ont jamais fait de la négritude une religion. Ils ont lutté, parfois héroïquement, pour la reconnaissance du génie noir, mais sans jamais renier l’universalité du message divin. Leur foi transcende les clivages et les mythes. Elle ne prône ni l’exclusivisme culturel, ni l’errance métaphysique, mais l’enracinement dans une voie dont le sceau est Muhammad, dont la source est Allah, et dont la finalité est l’unité transcendante.

Imam Ndaga Sarr

chroniqueur et analyste politique

Ndiambourinfo

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