Érudits tidianes au Senegal

Érudits tidianes au Senegal

À la rencontre des lieutenants de Cheikh Ahmad Tidiane jadis cachés.

Partie 6: Louga: El Hadji Momar Rokhy Gadji dit Baye Gadji, l’étoile de la fayda Tidjaniya qui scintille dans le Djoloff

Au cœur du Djoloff se dresse Nguith, un village chargé d’histoire et de spiritualité, situé à environ deux kilomètres de Linguère. C’est là, en 1911, que vit le jour Baye Gadji, de son vrai nom El Hadji Momar Rokhy Gadji, une naissance qui allait marquer le début d’une vie dédiée à la religion et à l’expansion de la Fayda Tidjaniya. Issu d’une lignée noble et pieuse, Baye Gadji hérita de l’héritage spirituel de ses ancêtres, se distinguant par sa dévotion et son amour inébranlable pour Allah.

Dès les premiers instants de sa vie, on percevait en lui une lumière particulière, une grâce divine qui ne cessera de croître tout au long de son existence. En ce lieu où le ciel semblait rencontrer la terre, une destinée spirituelle grandiose commençait à s’écrire.

Baye Gadji, héritier d’une lignée noble et pieuse, est né dans une famille où le savoir et la piété étaient des vertus cardinales. Son père, Alpha Rokhy Gadji, fils de Mbacké Gadji, était un érudit respecté, connu pour sa maîtrise du Coran et des sciences islamiques. Il incarnait les valeurs de droiture, de patience et de sagesse que son fils allait perpétuer avec un zèle incomparable. Sa mère, Rokhy Maty Coundoul, issue d’une famille également respectée, apporta à son fils une douceur et une bienveillance innée. Dès son plus jeune âge, Baye Gadji fut plongé dans l’étude des textes sacrés. Sous la direction de son père, il commença à mémoriser le Coran, dévorant les paroles divines avec une soif de connaissance que rien ne semblait pouvoir étancher.

Un jour, en labourant les champs, il entendit une voix mystérieuse lui dire : « Momar Rokhy, tu es ici alors que la Fayda se dirige vers le Fouta. » Ébranlé par cette révélation, il se confia à son père qui, avec sagesse, lui répondit : « Momar, l’orage qui souffle vers le Saloum te laissera pas indifférent. » Ce message allait guider Baye Gadji vers sa destinée.

La mort de son père marqua un tournant dans sa vie. Bien que jeune, il comprit que la responsabilité de porter l’héritage spirituel de sa famille lui incombait désormais. Le poids de cet héritage était lourd, mais il l’accepta avec une humilité et une dévotion inébranlables, déterminé à marcher sur les traces de ses ancêtres. Animé par une soif insatiable de savoir et une dévotion profonde, il commença alors à parcourir les foyers religieux du Djoloff, un territoire où la foi islamique imprégnait chaque recoin.

Cependant, rattrapé par les obligations familiales, Baye Gadji finit par s’établir définitivement à l’école de Serigne Momar Mbengue Lecor à Linguère, non seulement pour la proximité géographique avec Nguith, mais surtout pour la réputation sans égale de son maître dans le domaine coranique. Serigne Momar Mbengue Lecor, dont il nomma son fils aîné en hommage, était un homme d’une grande piété et d’une immense sagesse. Sous sa tutelle, Baye Gadji assimila rapidement le Coran et se distingua par sa maîtrise des sciences classiques et inspirées. Il gagna ainsi la confiance de son maître, qui lui confia des disciples pour qu’il les forme à son tour. Cette période de sa vie fut marquée par une intense immersion dans les mystères du Coran, une exploration des profondeurs spirituelles qui renforça sa foi et son attachement à l’islam.

Baye Gadji, accompagné de jeunes du Daara de Serigne Momar Mbengue, se distingua également par son dévouement dans les tâches collectives. Lors d’un voyage à La Mecque de Serigne Mor, Baye Gadji organisa avec d’autres talibés la collecte de fagots et de tiges de mil pour clôturer la maison du marabout. À son retour, Serigne Mor, très touché par ce geste, lui dit : « Momar, tu as clôturé ma maison. Qu’Allah te protège et te récompense d’une palissade que les animaux ne pourront détruire. » Encouragé par cette reconnaissance, Baye Gadji se rendit au Saloum pour soutenir financièrement son maître, emmenant avec lui quelques talibés. Pendant son séjour, il exerça le métier de vannier, tandis que ses talibés recevaient des aumônes, leur permettant de collecter des vivres et des condiments pour leur retour.

À Kaolack, Baye Gadji entendit parler de la Fayda, ce courant spirituel profond incarné par Cheikh Al Islam El Hadji Ibrahima Niass. Les rumeurs qui lui parvinrent résonnèrent en lui comme un écho lointain, réveillant le souvenir de la voix qu’il avait entendue dans sa jeunesse : « La Fayda chemine vers le Fouta ». Ce signe du destin ne fit que renforcer sa détermination à rencontrer cet homme exceptionnel.

Accompagné d’El Hadji Amath Khoudia Ndour un commerçant natif du Djoloff et établi à Kaolack, il fut présenté à Cheikh Ibrahima Niass, dont la seule présence laissa en lui une empreinte indélébile. Le regard de Baye Niass, plein de sagesse et de miséricorde, pénétra l’âme de Baye Gadji, qui lui demanda avec une ferveur inégalée de le guider vers l’essence divine. Ce fut le début d’une relation spirituelle unique, une relation marquée par l’amour et la dévotion de Baye Gadji pour son maître. Baye Niass, impressionné par sa sincérité et son humilité, confia son éducation spirituelle à Mame Amath Maty Sarr, mais ne tarda pas à rappeler Baye Gadji auprès de lui. Reconnaissant en lui une lumière rare, Baye Niass lui octroya l’Idjaza, cette autorisation sacrée de guider d’autres âmes sur le chemin de la Tarikha Tidjaniya.

Malgré son désir ardent de demeurer à Kaolack auprès de Baye Niass, la Providence lui assigna une autre mission : celle de retourner dans le Djoloff pour y propager la Fayda. Ce fut sous l’impulsion de Serigne Aliou Cissé, l’un des plus proches compagnons de Baye Niass, que Baye Gadji accepta de quitter Kaolack, muni des conseils précieux de son maître : “Ne critique pas les pratiques de tes compatriotes, mais guide-les avec douceur et sagesse.” Ces paroles résonnèrent profondément en lui, éclairant son chemin vers la mission à venir.

De retour dans le Djoloff, Baye Gadji se consacra entièrement à la propagation de la Fayda. Sa mission ne se limita pas à enseigner les préceptes de la Tarikha Tidjaniya ; il s’agissait aussi d’apporter une lumière nouvelle à ses compatriotes, de vivifier leur foi, et de les guider avec amour et compassion sur le chemin de la vérité. En 1952, il entreprit le pèlerinage à La Mecque, un voyage sacré qui marqua un tournant décisif dans sa vie spirituelle. Ce périple fut encore plus marquant par le fait qu’il l’effectua en compagnie de Baye Niass, renforçant ainsi leur lien spirituel.

À son retour du Hajj en 1954, Baye Niass honora Nguith d’une visite historique. Accompagné de son fils Cheikh Ahmed Tidjane Niass, il fit de ce jour un moment inoubliable pour les habitants du Djoloff, consacrant officiellement Baye Gadji comme son représentant dans la région. Cet événement scella définitivement le rôle de Baye Gadji en tant que Khalif de Baye Niass au Djoloff, un titre qu’il porta avec dignité et humilité.

L’amour que Baye Gadji portait à son maître était d’une profondeur incommensurable. Cet amour était le moteur de toutes ses actions, une source inépuisable de motivation dans sa mission spirituelle. À ses disciples, il répétait inlassablement : “Placez toute votre confiance en Allah et ne craignez que Lui.” Il leur enseignait la générosité, l’humilité, et le détachement des biens terrestres, affirmant avec force que “l’avare et le peureux ne peuvent cheminer avec moi.”

En 1958, Baye Gadji organisa son premier Mawlid à Nguith, un événement qui allait inaugurerun cycle annuel de célébrations en hommage à la naissance du Prophète (PSL). Ce premier Mawlid fut un grand succès, grâce à l’engagement et au soutien de sa famille ainsi que des dignitaires du village. Son frère, El Hadji Mamadou Rokhy Gadji qui dit avoir vu Baye Niass en rêve lui suggérant de prendre le wird, fut le premier à en prendre, marquant ainsi son adhésion pleine et entière à la voie tracée par Baye Gadji. Ce Mawlid permit également à Baye Gadji de consolider sa position en tant que guide spirituel dans le Djoloff, renforçant son rôle de vecteur de la Fayda Tidjaniya dans la région.

Au fil des années, Baye Gadji continua d’organiser ces cérémonies avec ferveur, rassemblant chaque fois un nombre croissant de fidèles. Ses prêches, empreints d’humilité et de profondeur, touchaient les cœurs et attiraient de plus en plus d’âmes désireuses de s’engager dans la voie de la Tidjaniya. Sa mission, bien qu’ancrée dans le Djoloff, ne se limitait pas à cette région. Par son exemple, Baye Gadji rayonnait bien au-delà des frontières locales, et son influence spirituelle s’étendit progressivement à d’autres régions du Sénégal.

Ses voyages, ses enseignements, et ses actes de générosité incommensurables avaient transformé Nguith en un centre de spiritualité où convergeaient de nombreux talibés. Baye Gadji, avec la bénédiction de son maître, répandait la lumière de la Tarikha comme un phare dans la nuit. Le Djoloff, autrefois isolé, devint un lieu de pèlerinage pour ceux qui cherchaient la guidance et la connaissance spirituelle.

Baye Gadji incarna jusqu’à la fin de sa vie une spiritualité vivante, nourrie par un amour profond pour Cheikh Ibrahima Niass et pour l’islam. Son héritage perdure à travers ses descendants et ses disciples, qui continuent de transmettre les enseignements qu’il a reçus et partagés. Fidèle à sa mission, Baye Gadji quitta ce monde le 29 août 1993, laissant derrière lui une communauté profondément ancrée dans la foi et un message de paix et de fraternité qui résonne encore dans le cœur de ceux qui l’ont suivi. Ses paroles, ses actions, et son amour pour son maître restent gravés dans la mémoire collective, témoignant de la grandeur de son engagement pour Allah et pour la Tarikha Tidjaniya.

Seydi Diallo enseignant à l’IEF de Guinguinéo.

Ndiambourinfo

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