L’appel au peuple, aux instincts, à la furie et à la fureur populaires, est évidemment un pari risqué, sur un avenir imprévisible. Il est donc important de savoir poser des limites à l’action revendicative dont le mécanisme risque de s’enrayer, avec l’usage excessif. “Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise”.
Le choix de techniques de consultation du peuple, ne nécessitant aucun rassemblement, peut encore s’avérer utile, pour jauger le niveau des insatisfactions populaires (rapportées aux jeunes et aux anciens qui continuent de les entretenir, sous nos cieux) et, en même temps, sur un autre plan, pour servir de dérivatif aux pulsions mortifères fortifiées par un mal être social. Et chacun y trouve son compte ! D’ailleurs, à ce propos, il y a comme une sorte de malentendu qui n’a rien de grave, puisque ça ne change rien au résultat : les leaders politiques parlent de listes et de troisième mandat, les manifestants, pour leur part, expriment plutôt leurs difficultés existentielles, en bruits métalliques.
Le peuple désignant les couches paupérisées associées aux émotions, au règne des tripes, aux dérives incontrôlables, apparaît dès lors, dans ses manifestations de colère, comme un “révélateur” des frustrations qu’il faut sans tarder s’activer à éteindre, en dehors même de tout projet politicien.
Mais dans les habitudes permissives de nos sociétés en crise de refondation, des dérives sont toujours possibles. Le facteur culturel, le degré d’implantation des valeurs démocratiques pourraient jeter, toutefois, un discrédit sur de telles pratiques qui n’ont pas la même signification, dans les espaces sociaux où Dieu et Sa présence misericordieuse justifient l’espoir ou même sous les régimes dits totalitaires. L’excitation des émotions populaires peut même créer le déferlement inattendu qui n’épargnera pas les élites les plus en vue, même celles qu’elles prétendaient servir.
Il faut se méfier du peuple! Il ne présente pas la même configuration partout. Il est tributaire de sa trajectoire historique et de ses ressorts laïc, religieux ou héroïque. Le peuple flatté dans son instinct guerrier retrouve toujours ses positions historiques. Il ne sera pas étonnant qu’un jour ce peuple que nous aimons tant, dans son exaltation fiévreuse, revendique les héroïsmes guerriers de Samba Gueladio Diegui, de Lat Dior Ngone Latyr Diop ou d’Aline Sitoe Diatta. Ce serait la grande cassure nationale !
Le moment présent prépare à la possibilité d’émergence de nouvelles figures populistes et d’un troisième homme (ou simplement d’une composante de coalition) qui propseraient une sorte de pause “raisonnable”, en appelant à une nouvelle prise de conscience.
L’espace républicain se révèle manifestement, aujourd’hui, comme un territoire de la trahison permanente des idéaux (assumée ou feinte pour offrir des portes de sortie) : un espace du déni, de la contradiction et du reniement, en tout cas. C’est le moment où transhumants et transfuges potentiels font leurs bagages, pour sauter du navire qu’ils croient menacé de chavirer. C’est le temps des discours inattendus et discordants d’acteurs politiques déjà typés.
Pr. Birahim Thioune
Docteur d’Etat ès Lettres (Littérature française)
Doctorat Sciences du Langage – Didactique du FLES à Université Paul Valéry – Montpellier